Tamaas

Virginie Poitrasson

Translated by Alison Koehler

Extraits du livre Le pas-comme-si des choses

La fenêtre. Je crois voir un oiseau. Du coin de l’œil je vois quelque chose s’élever derrière la vitre, mouvant tel un oiseau mais peut-être n’en est-ce pas un. Je regarde, c’est une mésange avec sa gorge jaune et sa calotte bleue, elle se déplace à l’horizontale, prend son envol à tire d’aile pour aussitôt disparaître. Mais le passage si furtif me demande de recréer l’instant fantomatique, de l’inventer à nouveau, je ne savais pas ce que je voyais au départ, était-ce bien une mésange ? Y avait-il bien du bleu ? Ou était-ce plutôt un gris passé comme le plumage d’un serin ? Je ne pourrai jamais le savoir vraiment à moins que la scène ne se reproduise, et même si tel est le cas, et même alors…

{Rêve}

Je circule et respire sous une lumière blanche, une lumière soluble. Je suis dans une sphère à part, je la parcours, frôle ses bords solides avec mes paumes. Elle me protège, m’affirme, m’isole. Mais ce n’est pas la seule dans l’espace car ce n’est qu’un simple module faisant partie d’un plan général. J’observe les sphères qui se multiplient partout, elles deviennent si nombreuses que c’en est irrespirable. Confinée dans ma sphère, je répète quotidiennement les mêmes gestes, j’avance, je tourne, je m’arrête, je recule, je sautille sur place, je tourne sur moi-même, je ferme les yeux, je m’allonge, je m’assois, je piétine, je me cogne aux parois et imperturbable je recommence. Je préfère me cogner fréquemment aux parois que d’envisager une sortie. Ce qui m’empêche me structure. Comme une crainte du sans limite. Loin de toute menace extérieure, je prolonge pourtant implacablement ma rétention.

Voilà que je sens à l’arrière de mon crâne une nouveauté, une bizarre palpitation d’ailes. Comme si j’avais chaque nuit un insecte de plus dans le corps : un grillon dans le cœur, une libellule dans les poumons et un papillon de nuit dans la gorge. Ce sont, mêlées, la force des courants de l’air et cette palpitation d’ailes qui les fend. Comme si cet air était tout en crêtes, en rides, en aspérités. Les ailes se soulèvent et plongent de bas en haut, de haut en bas à l’arrière de mon crâne, comme si l’exercice les stimulait, tel un nageur dans une mer houleuse. Mon cerveau se ferme, lentement. Il devient chrysalide. Je suis étendue, inerte, des flashs aigus me traversent parfois, ce sont de simples malaises. Je réussis pourtant à localiser l’endroit précis de la douleur. Curieusement, il est à l’extérieur de la peau et plutôt éloigné. Il existe manifestement un corps sphérique bien plus grand que le corps charnel. C’est une longue descente. Puis brusquement un ressort se détend. Je commence à me rendre compte de la qualité de la journée, de la lumière traversante, elle, elle est à nouveau ici, et c’est une lumière dorée confondue avec celle des premières lampes et des phares de voiture filant sur la route. Il y a ce flottement dans ma tête, prémisse d’un éveil, et elle, pleine et éclatante, comme si des portes s’entrouvraient, c’est peut-être cela l’éphémère battement d’ailes que je sens en moi.

Je me situe au passage, exposée et dérobée à la fois. Elle, figure poudrée, rayonne à contre-jour des faisceaux.

Comme le chat qui ne sait s’il doit entrer ou sortir, j’aime volontiers l’entrebâillement. Et je m’interroge : Quelle est ma position à l’égard de ce qui est intérieur et de ce qui extérieur ? Même si une certaine liberté, un certain élan sont nécessaires, des étapes se dessinent.

Absorption
(transformation en une autre forme)
Il y a deux fenêtres en face de moi, chacune dénudée. Entre elles, l’aplat du mur blanc, rupture calme pour l’œil dans l’étendue bleue du ciel. Le ciel gouverne l’espace. Il est tout entier dans la maison, même l’encadrement des fenêtres ne suffit pas à le contenir. Il enveloppe tout avec son bleu sans fond. Tout est redessiné à la mesure des nuages et de leurs ombres. Je m’absorbe dans la couleur azur.

Réfraction
(changement de direction, déviation)
Prendre un autre angle. Vue du plafond. Vue du sol. Les fenêtres gris tourterelle et bleu brume-des-îles, la vapeur écarlate des arbres, la lisière verte et sombre des arbres telle une vitre dépolie. À l’arrière de ma tête, toujours ce nœud serré. Je le desserrai plus tard.

Réflexion
(phénomène de retour vers l’arrière / changement de direction des ondes quand elles rencontrent un corps interposé)
Je tourne et me retourne, sans me retrouver. Arriverai-je à retourner là-bas ? Le temps ne le dit pas. Me voilà au milieu du déplacement, entre pile et face, sol et plafond, les fenêtres sont mon axe.

Dispersion
(séparation des composantes monochromatiques d'un rayonnement complexe)
Bleu – rouge – jaune : en un seul faisceau blanc. Le nœud se resserre et ravive l’encadrement de la lumière. Je cherche pourtant implacablement à m’illusionner comme étant départie.

Diffusion
(action de se répandre de façon uniforme / dissémination)
On peut voir n’importe quoi par la fenêtre : une barque, le désert, Lampedusa. J’ai conscience d’avoir peut-être atteint le no man’s land que je cherchais. Je peux passer en sautillant de la vie extérieure à la vie intérieure et chantant une ritournelle, revenir à demeure encore et encore, il suffit juste d’accélérer ou de ralentir l’allure.

{Rêve}

Je suis fille de la Terre et du Ciel étoilé et ma lignée est céleste. Je suis desséchée par la soif et je vais périr. Je dois vite boire l'eau fraîche qui coule du lac de Mémoire. Alors dès cet instant, je deviens souveraine. Pure d'entre les purs. Je suis la femme à quatre têtes, huit bras et aux deux langues fourchues. Mon tronc circulaire donne la circonférence de ma présence. Je représente l’arc en ciel, ma poitrine est couches multiples. Je me défigure pour mieux me ressembler. Quelle est la forme définitive de mon visage ? Il devient parfois perméable, comme s’il était exposé à une forte radiation. J'ai volé hors du cercle lourd de souffrance, je suis arrivée, d'un pied rapide, à la couronne désirée et j’ai plongé sous les plis de la terre. Le grand écart ne m’affole pas, il m’équilibre. Parce qu’il faut bien faire des prouesses. Me voilà incernable dans ma souplesse, toute suspendue à mon corps. Rayonnante.

The window. I believe I’ve seen a bird. From the corner of my eye I see something lift off behind the windowpane, moving like a bird but perhaps it isn’t one. I look, it’s a chickadee with her yellow throat and blue cap, she moves horizontally, taking flight in a flurry of feathers to instantly disappear. But this furtive passage makes me recreate this ghostly instant, to reinvent it, I didn’t know what I saw at first, was it a chickadee? Was there blue? Or was it instead a bygone grey like the feathers of a canary? I could never truly know as long the scene were to not reoccur, and even if it did, and even then…

{Dream}

I circulate and breathe under a white light, a soluble light. I’m inside a separate sphere, I roam through it, brushing its solid edges with my palms. It protects me, affirms me, isolates me. But it isn’t the only one in space because it is only one mere part of a larger whole. I observe the spheres that multiply everywhere, they become so numerous that it is hard to breathe. Confined to my sphere, I repeat the same gestures daily, I move forward, I turn, I stop, I move back, I hop, I spin round and round, I close my eyes, I stretch out, I sit down, I stamp, I bump against the sides and, unperturbed, I begin again. I prefer to repeatedly bump against the sides rather than to imagine an exit. What inhibits me structures me. Like a fear of no limits. Far from every outside threat, I implacably prolong my containment.

Here I sense something new at the back of my skull, an odd fluttering of wings. It is as though every night there is one more insect inside my body: a cricket in my heart, a dragonfly in my lungs, and a moth inside my throat. The force of air currents commingles with the fluttering of wings as they slice through it. As if the air had crests, wrinkles, rough spots.  The wings lift and dive from low to high, from high to low at the back of my skull, as if the exercise stimulated them, like a swimmer inside a stormy sea. My brain closes itself, slowly. It becomes a chrysalis. I am lying down, inert, sharp flashes sometimes passing through me, they are mere discomforts. I sometimes succeed in localizing the exact position of the pain. Oddly, it is outside of the skin and rather faraway. Clearly there is a spherical body that is larger than a body of flesh and blood. It’s a long way down. Then suddenly a spring loosens. I begin to notice the quality of the day, the light filtering through, her, she is here again, and there is golden light merged with the first lights and headlights whizzing down the road. There is a floating sensation in my head, premise of an awakening, and her, full and glowing, as if the doors have opened slightly, this is perhaps the ephemeral flapping of wings that I feel inside myself.

I’m standing in a pathway, simultaneously exposed and hidden. She, powdered figure, glows in beams of light.

Like the cat who doesn’t know if he should come in or go out, I like the space ajar. And I ask myself: what is my position in relation to the inside and outside? Even if a certain kind of freedom and momentum are essential, there are steps that become apparent.

Absorption
(transformation into another form)
There are two windows facing me, each one bared. Between them, the solid white wall, a calm break for the eye in the blue expanse of sky. The sky governs space. It permeates the entire house, even the window frames are not enough to contain it. It shrouds everything with its bottomless blue. Everything is redrawn to the shapes of clouds and their shadows. I absorb into azure.

Refraction
(change of direction, deviation)
Find another angle. View from the ceiling. View from the ground. Turtledove grey and island-mist-blue windows, the scarlet vapor of trees, the somber green threshold of trees through a frosted pane. At the back of my head, always a tightened knot. I will loosen it later.

Reflection
(phenomenon of going backwards/changing direction of waves when they encounter an interposed body)
I turn and turn around, without finding myself. Will I be able to go back there? Time will not tell. I find myself in the middle of displacement, between heads and tails, floor and ceiling, the windows are my axis.

Dispersion
(separation of monochromatic components with a complex radiation)
Blue - red - yellow: in one white beam. The knot tightens and revives the framing of light. Yet I relentlessly try to fool myself into believing I’m no longer here.

Diffusion
(action of spreading out evenly/ dissemination)
One can see anything through the window: a boat, the desert, Lampedusa. I’m aware of having possibly reached the no man’s land that I’ve been seeking. I can skip between my exterior and my interior life, singing a ritornello, going back to dwell again and again, it is enough to accelerate or slow down my pace.

{Dream}

I am daughter of the Earth and the starry Sky, my lineage is celestial. I am parched with thirst and will perish. I must quickly drink the cool water that runs down the lake of my Memory. So from this very instant, I become sovereign. Purest of the pure. I am the woman with four heads, eight arms and two forked tongues. My circular torso gives my presence a circumference. I represent the rainbow, my chest is several layers. I disfigure myself in order to better resemble myself. What is the final shape of my face? It sometimes becomes permeable, as if it had been exposed to strong radiation. I flew outside of the heavy circle of suffering, I have arrived, on a quick foot, to the coveted crown, and I dove into the folds of the earth. It doesn’t alarm me to do the splits, it balances me. Because one must perform amazing feats. Here I am undefinable in my flexibility, completely suspended in my body. Radiant.

Translation → READ: A Journal of Inter-Translation

Issue 8